Il y avait une forêt de cèdres 3 : Feedback

À présent, il était prêt pour du feedback sérieux, des professionnels. Mais ce n'est pas une mince affaire! Même si communiquer avec des images est bien plus naturel pour Arthur, il comprend aussi la forde des mots et il s'efforce de formuler ses demandes avec la plus grande délicatesse. Je ne le cache pas : cette étape de l'apprentissage a été comme les épines de rose que le prince doit traverser pour arriver enfin au pied du lit de sa princesse. Avec son petit lot de moments de cauchemar et de rêve.

Pour commencer : si tu veux du feedback concret, il faut dire à chacun ce que tu attends de lui et sur quoi le retour doit porter. Un premier exercice donc : clarifier, cibler, évaluer. Mais nous sommes des rêveurs, donc on n'allait pas se limiter à contacter uniquement des personnes qu'on connaissait déjà ! Les horribles parents d'Arthur l'ont poussé à traverser sa peur pour oser contacter même certains professionnels qu'il admire, mais qu'il ne connaît pas. Par exemple Adrien, qui a fait une superbe vidéo qui a inspiré celle d'Arthur. Arthur se retrouvait à formuler des messages à ses idoles, à se présenter, sans trop se mettre en avant, mais un peu quand même. Pas évident, même pour les adultes !!! Souvent, un message comme ça était précédé par des jours d'échanges sur sa peur, sa réticence, même des disputes parfois quand la tension montait trop. Car ne pensez pas qu'un ado est plus facile à vivre juste parce qu'il est passionné et habite dans un camion ! Mais nous l'avons fait, ensemble. Et chaque peur traversée, chaque mail écrit, était un autre cap vers la personne qu'Arthur veut devenir.

Et le jeu en valait la chandelle : les retours étaient géniaux ! Déjà, parce que tout le monde a répondu. En plus, les réactions étaient positives et admiratives de ce que le film était déjà ! Quelle joie pour Arthur de les entendre parler de son talent. Difficile aussi, car il en a un peu peur. Mais ça aussi, ça fait partie de l'expérience : accueillir le positif comme le négatif, et rester le gardien de ton équilibre personnel.

Il y a eu plein de moments incroyables. J'aimerais en raconter un qui a eu lieu dans une réserve marine au sud du Maroc. Quand nous y sommes arrivés, il y avait une équipe de tournage marocaine en train de filmer un documentaire sur sa préservation. Le réalisateur était lui-même un élève d'une école de cinéma de Casablanca et il avait comme tuteurs deux cinéastes expérimentés : Atem et Hakim. Et c'est avec eux qu'Arthur s'est lié d'amitié. Il leur a montré son film, ce qui fortement impressionné Atem « Tu n'as plus rien à apprendre ! » a-t-il même dit ! Et puis ils ont parlé détails techniques (Tu filmes en .log ? ND1000 ou CPL ?, Davinci Resolve, étalonnage... c'est du chinois pour moi !). Puis, ils l'ont invité de les accompagner pendant quelques jours sur le plateau de tournage où il a observé, discuté, échangé... et appris plein de choses ! Mais la plus merveilleuse surprise arriva quand on vit ce qu'Atem avait marqué sur son Instagram, à propos de cette rencontre :

Arthur a la tête qui tourne !

La bonne nouvelle est que tout le monde est enthousiaste ! La deuxième bonne nouvelle est que chaque conseil est différent. Ça aurait été pire si tout le monde avait été d'accord, mais vu la variété des retours... on peut dire qu'il ne s'agit que d'une grande diversité d'opinions. Chaque humain est unique. Reste la question, maintenant qu'il a tous ces retours, que faire avec tout ça ?
Parler, écouter, réfléchir. Parler, écouter, parler. Pour commencer avec les personnes qui ont donné un feedback qu'Arthur a besoin de mieux comprendre. Approfondir. Écouter. Réfléchir. Il rappelle certains personnes, on écrit des mails ensemble... Arthur ne fait pas les choses à moitié. Chaque remarque, il a besoin de l'apprivoiser pour après pouvoir se faire sa propre opinion dessus. Et pour ce faire, rien de plus efficace que les heures et heures d'échanges avec ses parents. Comparer les arguments. Peser le pour et le contre. Définir ce qu'il a fait. Pourquoi ? Pour qui ? Pour atteindre quel objectif ? Par moments, c'est un peu long (pour moi, en tout cas), et en même temps, c'est beau à voir comment les sujets se clarifient dans la tête d'Arthur. Peu à peu, son projet se définit et devient le sien.

Désormais, il est prêt à faire des choix. Ses choix. Je ne sais pas combien de fois on a vu et revu le film, à chaque fois pour se concentrer sur un autre élément. Mais à cette phase-là, notre rôle parental s'efface et se limite à un fond d'écran, juste assez pour lui donner la confiance nécessaire pour faire son travail. Si ça nous arrive d'exprimer une autre opinion, il nous répond avec conviction et calme, qu'il veut le faire ainsi pour telle et telle raison. Il sait. Il le sent. C'est son film.

Donc, c'est fini ? Ah non ! Pour nous, c'est inimaginable de demander conseil aux autres sans revenir vers eux après. Ensemble, on recontacte donc toutes ces chères personnes pleines de talent, pour les remercier des retours qui lui ont permis de mieux définir son projet, et ceci, indépendammant du fait qu'il ait ou non suivi leurs conseils. J'avoue que ça peut être assez délicat ! Un bel exercice donc d'équilibriste : d'un côté l'affirmation de soi (oui, on parle bien d'un garçon de 14 ans face à des pros) et la confiance en sa voix intérieure... et de l'autre, la grande gratitude qu'il porte dans son coeur pour le temps et l'attention qu'ils lui ont accordés.

Un des plus beaux exemples de ce soutien « refusé » avec amour et discernement est celui de ma chère amie musicienne Céline. Arthur l'avait contactée pour le guider dans le choix de ses musiques. Elle n'a jamais traité Arthur comme un enfant, mais comme un artiste qui a besoin d'apprivoiser un terrain inconnu, en occurence la musique. Ses retours étaient pleins de cœur, constructifs et à la fois critiques. Elle expliquait les enjeux du choix de la musique et les arguments qui le déterminent. Pendant un échange vidéo, ils ont même fini par envisager la possibilité que Céline elle-même compose une musique originale pour son film. Elle lui a demandé de peser les arguments pour et contre, tout en restant à sa disposition.

Arthur était très touché et cette possibilité le faisait rêver. Mais d'abord, il a cherché lui-même à améliorer la musique en suivant ses critères et conseils. Quelques semaines plus tard, il avait finalisé son film avec une nouvelle musique libre de droit et le lui a montré. Encouragé par ses retours positifs, il a ensuite pris la décision de ne pas lui demander de composer une musique. Il était heureux du résultat et n'avait pas besoin de faire mieux. Ainsi, son premier film restera pour toujours entièrement le sien, sans aide extérieure.

Merci Céline, je suis moi-même touchée en écrivant ces lignes. Il n'y a rien de précieux que de te dire que ce que tu as fait toi-même est sans doute assez parfait.